mardi 30 mars 2010

Faire la chèvre

Je garde un fantastique souvenir de l'histoire d'Alphonse Daudet, La chèvre de M Seguin, si triste et pourtant magnifiquement écrite et si joliment illustrée, ma version préférée étant sans conteste celle d'André Pec éditée par le Père Castor, avec son image de couverture comme dessinée sur papier kraft à la manière des études au pastel.
Mais celle de Laure Delvolvé, découverte plus tardivement, est une merveille de graphisme avec ses tracés tourmentés, où le mouvement s'imprime des maquis aux buissières et jusque dans les ciels étoilés.
Quant à la version d'Albert Chazelle, au trait splendide et chaleureux, elle aurait sans doute mérité un meilleur support que celui de la Bibliothèque Rose, il n'empêche que grâce à cette collection, beaucoup d'enfants ont pu s'adonner au plaisir de la lecture et découvrir ainsi les coulisses d'un système scolaire parfois bien austère plus souvent qu'à son tour.
«Ah ! Gringoire, qu'elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin ! Qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande !... Un amour de petite chèvre...»
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Illustrations d'André Pec
© Editions du Père Castor, 1946.

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Illustrations de Laure Delvolvé
© Editions de l'Amitié - Rageot, 1953.

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Illustrations d'Albert chazelle
© Editions Hachette, Bibliothèque Rose, 1ère édition en 1963.


Alors le monstre s'avança, et les petites
cornes entrèrent en danse.


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Laure Delvolvé - © Editions de l'Amitié

Ah ! la brave chevrette, comme elle y allait
de bon coeur ! Plus de dix fois, je ne mens
pas, Gringoire, elle força le loup à reculer
pour reprendre haleine.
Pendant ces trêves
d'une minute, la gourmande cueillait en hâte
encore un brin de sa chère herbe ; puis elle
retournait au combat, la bouche pleine...
Cela
dura toute la nuit. De temps en temps la
chèvre de M. Seguin regardait les étoiles
danser dans le ciel clair et elle se disait :
– Oh ! pourvu que je tienne jusqu'à l'aube...
L'une après l'autre, les étoiles s'éteignirent.
Blanquette redoubla de coups de cornes, le
loup de coups de dents...
Une lueur pâle parut dans l'horizon... Le
chant du coq enroué monta d'une métairie.
– Enfin ! dit la pauvre bête, qui n'attendait
plus que le jour pour mourir ; et elle
s'allongea par terre dans sa belle fourrure
blanche toute tachée de sang...

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André Pec
© Editions du Père Castor

Le prix de la liberté...

mercredi 17 mars 2010

Brodeuse d'histoires


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Rainy Day - 2002

Anna Torma est une artiste d'origine hongroise née en 1952, émigrée au Canada depuis 1988.
Son interêt et sa fascination pour le textile remontent à son enfance hongroise, mères et grand-mères initiaient très tôt les petites filles à l'art de pousser l'aiguille, c'est ainsi qu'Anna elle-même est entrée dans l'univers de la broderie et de la couture.

Ses études en Arts Textiles et Design à l'Académie Hongroise des Arts Appliqués de Budapest, de 1974 à 1979, ont coïncidé avec la révolution textile des années 1970 et la popularité grandissante d'oeuvres d'artistes étrangers. À cette époque, le textile s'éloignait peu à peu de ce qu'il avait incarné jusqu'alors, art populaire ou passe-temps domestique. Dans la mesure où cette orientation particulière n'était pas encore considérée officiellement comme un des beaux-arts, elle permettait aux artistes hongrois une très grande liberté créative, puisqu'ils n'étaient pas aussi étroitement surveillés par le gouvernement que pouvaient l'être ceux qui créaient sur d'autres supports.
Des pièces furent tissées ou cousues dans des formes abstraites, installations polymorphes et travaux conceptuels, une manière d'aborder les arts textiles qui n'avait encore jamais été envisagée.

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Flora - 2008

Les structures textiles d'Anna Torma intègrent de nombreuses techniques telles que broderie, patchwork, appliqué, quilting et feutrage.
D'abord, elle assemble une base de patchworks souvent composée de tissus mis au rebut, morceaux de vieux vêtements, ensuite elle se met à produire des dessins brodés sur cette surface ainsi apprêtée.
Son but, dit-elle, est de créer un travail innovant à partir d'agencements textiles, en abordant les concepts de féminité, de domesticité et de l'origine ethnique.
Dans certaines de ses oeuvres, ses broderies d'images et de textes reprennent des extraits des carnets de ses enfants, cartographiant ainsi la progression de leurs apprentissages.
D'autres sont des compositions de morceaux de gaze cousus ensemble et parés de motifs floraux découpés dans des textiles hongrois.
Cet emprunt d'images et ces assemblages lui permettent d'insufler ses expériences personnelles et sa spiritualité et de les mettre en parallèle avec celles d'autres artistes.

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Playground I - 2002

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Lace - 2008

Ses travaux sont amples, complexes et intimes, ludiques et parfois troublants.
Chacun est comme un lieu de mémoire où l'on se perd à rêver en remontant le fil de son histoire, celle qu'elle a partagé avec ses enfants, retracée à travers leurs images et leurs récits, celle de la maternité et de l'amour inconditionnel, images de seins nourriciers, évocation d'une mère attentive et consolatrice, abreuvée à la source d'un imaginaire fantastique, entre monstres et héros.
Ses oeuvres sont réalisées avec un soin et un sens du détail et des textures, une expérience du mouvement de la maille et de l'émotion de la pièce, qui démentent leur aspect enfantin.
Magnifiques courtepointes, illustrées de graphismes fascinants et savamment désordonnés, aux bordures minces et déformées ainsi que l'étaient les courtepointes anciennes telles qu'on les faisait pour les lits d'hôpitaux à partir de tissus de vieilles chemises, modèles parfois complexes, mêlant les techniques, les matériaux et les réfèrences culturelles, son travail fait d'elle une artiste reconnue, participant à de nombreuses conférences internationales sur l'art textile.
Actuellement elle enseigne son savoir-faire au Centre d'Art de Burlington aux USA.

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Playground II - 2002

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Playground III - 2002

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Serenade - 2006

lundi 15 mars 2010

Violettes


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Rien qu'une touffe de violettes pâles,
une touffe de ces fleurs faibles et presque fades,
et un enfant jouant dans le jardin...

Ce jour-là, en ce février-là, pas si lointain et tout de même perdu comme tous les autres jours de sa vie qu'on ne ressaisira jamais, un bref instant, elles m'auront désencombré la vue.

Fleurs parmi les plus insignifiantes et les plus cachées. Infimes. A la limite de la fadeur. Nées de la terre ameublie par les dernières neiges de l'hiver. Et comment, si frêle, peuvent-elles seulement apparaître, sortir de terre, tenir debout?

Dans la liturgie de l'année, plus constante, un peu plus éternelle que l'autre- qui d'ailleurs se défait-, elles ont leur place comme l'heure de prime dans la journée des reclus. Une heure où l'on ne peut parler haut. Pour les entendre, il faut déplacer de l'ombre. Etre sorti des cauchemars. Défait de ses bandelettes.
Ou n'est-ce pas plutôt que leur vue nous y aide?

"Je ne cueillerai pas les fleurs", dit l'Épouse du Cantique spirituel : cela signifie qu'elle se refusera certaines joies brèves pour une autre, réputée plus haute et plus durable. Ce refus n'empêche pas que les fleurs, même incueillies, ont été nommées dans le poème, qu'elles y sont limpidement présentes comme une beauté éparse au-delà de laquelle on ne pourrait sûrement pas aller sans l'avoir d'abord aimée.

Violettes

Flèches à la tendre pointe, incapables de poison .

(Effacer toutes les erreurs, tous les détours, toutes les espèces de destructions ; pour ne garder que ces légères, ces fragiles flèches-là, décochées d'un coin d'ombre en fin d'hiver.)

L'infime, qui ouvre une voie, qui fraie une voie; mais rien de plus. Comme s'il fallait bien autre chose, qui ne me fut jamais donné, pour aller au-delà.

Frayeuses de chemin, parfumées, mais trop frêles pour qu'il ne soit pas besoin de les relayer dans le noir et dans le froid.
Philippe Jaccottet
Et, Néanmoins
 
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