mardi 18 août 2009

Pour danser le biglemoi, il faut choisir une musique... *



* Chloé in L'écume des jours

Le pianocktail, mot-valise créé par Boris Vian et inspiré par l'orgue à bouche de Huysmans (dans A rebours) est un piano qui produit à la fois de la musique de jazz et des mélanges alcoolisés. Il unit ainsi, par une fausse synesthésie¹ artistique, deux plaisirs sensuels, l’ivresse de l’alcool et celle de la musique.
«- J'ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J'ai obtenu à partir de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
- Quel est ton principe ? demanda Chick.
- A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l'œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l'eau de Seltz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d'unité, à la noire l'unité, à la ronde la quadruple unité. Lorsque l'on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée - ce qui donnerait un cocktail trop abondant - mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l'air, on peut, si l'on veut, faire varier la valeur de l'unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d'un réglage latéral.
- C'est compliqué, dit Chick.
- Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d'ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement.
- C'est merveilleux ! dit Chick.
- Il n'y a qu'une chose gênante, dit Colin, c'est la pédale forte pour l'œuf battu. J'ai dû mettre un système d'enclenchement spécial, parce que lorsqu'on joue un morceau trop «hot», il tombe des morceaux d'omelette dans le cocktail, et c'est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c'est le sol grave.
- Je vais m'en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible ! »
Boris Vian - L'écume des jours.

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© Geraldine & Nicolas Schenkel

Il est possible que Vian ait été également inspiré par le projet d'orgue à couleurs de Scriabine qui, en 1909, avait découvert à la fois le sonnet des Voyelles de Rimbaud et les écrits du Père Castel.
Père Jésuite, Louis-Bertrand Castel (1688-1757) proposa en 1725, juste après la publication de son Traité de la pesanteur universelle, de réaliser un clavecin fait pour les yeux qui « rende les sons sensibles et présents aux yeux, comme ils le sont aux oreilles, de manière qu'un sourd puisse jouir et juger de la beauté d'une musique aussi bien que celui qui entend », un clavecin oculaire où des couleurs seraient associées à chaque note de la série chromatique des sons musicaux : accord parfait (do-mi-sol) = bleu-jaune-rouge, et une palette de couleurs pour la gamme chromatique suivante : Do = bleu ; Do# = céladon ; Ré = vert ; Ré # = olive ; Mi = jaune ; Fa = fauve ; Fa# = incarnat ; Sol = rouge ; Sol# = cramoisi ; La = violet ; La# = agathe ; Si = gris ; Do ; bleu.
Il imagina aussi un orgue à couleurs de douze octaves avec 144 couleurs correspondantes créées par un système de verres, de miroirs et de bougies, un clavecin olfactif était aussi à l'étude mais ces instruments restèrent purement théoriques.
Scriabine quant à lui avait prévu dans son Prométhée ou le Poème du feu une projection de couleurs en osmose avec la musique, les lumières étant conçues à la fois comme un prolongement et une symbolique sous-jacente, par rapport au sens musical ; elles étaient selon lui l'aura de sa musique.
Il avait imaginé deux projections de lumière simultanées afin de créer de nouvelles couleurs, l'une réagissant aux notes, l'autre étant plus statique. Sur sa partition, la partie lumineuse était notée "luce".
En 1911 eut lieu à Moscou la création de ce Prométhée pour grand orchestre et piano avec orgue, chœurs et clavier à lumières, sous la direction de Serge Koussevitsky.
Malheureusement le constructeur du clavier à lumières ne pu finir à temps son travail.
Le Prométhée respectant les intentions du compositeur ne verra le jour qu'en 1962.

¹Être synesthète : du grec "syn" (ensemble) et "aisthesis" (sensation). C'est percevoir en même temps. Une personne synesthète percevra un phénomène par deux (ou plusieurs) sens au lieu d'un. Par exemple, elle peut entendre un son et le percevoir aussi comme jaune.
Voir la vie en violet, entendre la musique des couleurs, peut faire passer pour illuminé, ou créatif, ou simplement "surdoué".
Il semble que la synesthésie soit reconnue par la communauté scientifique, les choses se passeraient au niveau neuronal...

6 commentaires:

Nessy a dit…

MDR, j'aime celle-là aussi
http://www.youtube.com/watch?v=zezM0GKGURE

code cookie! slurpppp

Axel a dit…

J'ai lu ton com chez Marie, quand est-ce que tu nous montres ce que tes doigts ont crocheté??
Et grâce à toi, j'ai appris qu'il fallait rentrer ses fils sur une grande longueur?!! Je risque d'avoir fait des trucs pas très solides moi! Merci pour l'info en tous cas!

Anonyme a dit…

Euh, pardon, c'est Bénédicte! Je suis pas sur mon ordi habituel!

marie a dit…

Aah ... Si j'avais eu un pianocktail , les belles musiques que j'aurais composées !
De belles bourrées , pour commencer ...
Mais je n'ai eu droit qu'à une flûte ... Condamnée au champagne !

clothogancho a dit…

Si la "communauté scientifique" dépoétise avec ses ondes et ses fréquences, comment voca-visualiser Rimbaud alors ?
Toujours aussi "fouillés" tes articles, Minie, un plaisir rare.
De retour, oui, et j'en ai des choses à lire et à découvrir chez toi !

MALATAO a dit…

Bonjour, je vois un petit rapport avec Baudelaire:
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. II est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, ...

 
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