J'ai pendant longtemps été fascinée par cette « Ivresse des anges » sans en connaître l'origine, photo enregistrée à la va-vite et dont le nom d'auteur s'était perdu corps et biens dans les dédales du net.
Parallèlement, et sans penser à faire un rapprochement, je gardais depuis longtemps le souvenir de miniatures sous-verre, à la fois burlesques et féériques, d'une finesse extraordinaire, vues dans les années 80 lors d'une exposition à Strasbourg, mais sans pouvoir en retrouver l'auteur...
Double fascination, un jour j'ai découvert qu'une seule et même personne se cachait derrière ces deux images, celle des anges et celle du souvenir.
Pendant ses années strasbourgeoises, alors qu'elle était caissière de cinéma, Petra Werlé s'est prise de passion pour la mie de pain qu'elle n'a eu de cesse de malaxer, pétrir, affiner à l'extrême, du bout des doigts et dans le silence relatif et l'exiguïté de sa guérite, pour en tirer d'extraordinaires et minuscules statuettes aux allures de clowns impertinents, rehaussées parfois d'une pointe de gouache et ne dépassant jamais quelques centimètres.
Lorsqu'on est enfant, on débusque au hasard d'une rêverie, sur la peau veinée d'un tronc d'arbre ou d’une pierre, parfois même au milieu des entrelacs gris ou bleus de certains linoléums, de petits êtres contorsionnés qui donnent fugitivement un esprit à la matière, une foule de personnages étranges et mystérieux, chimères et autres Jabberwocky, bestiaire fantasmagorique qui soudainement vous emmène dans un monde secret, tapi à la surface des choses...
Pour Petra Werlé ce fut la mie de pain, le tout premier visage était là, émergeant tout juste de cette chair vivante.
Elle s'est faufilée dans la brèche, et l'aventure a commencé...
Enfermé dans des cadres ou mis sous globe, tout un petit peuple fantasque de personnages échevelés a pris corps, chahuteurs et follement impertinents, s'agitant et grimaçant avec de faux airs navrés et des sourires goguenards, minuscule théâtre de la vie et de l´amour, entre grotesque et merveilleux, sculpté dans le pain de la veille.
Parmis ses premiers personnages, Arthur-Toujours-Là et Monica-Belle-de-Givre pour lesquels Gilbert Lascault a écrit une histoire d’amour.
et de Monica-belle-de-givre
1982-1986, Editions Baby Lone
1987-1991, Editions Baby Lone
Elle fonctionne sur le principe des séries : Constellations (1995), Scènes érotiques(1998), Entomologie (1999), Procession(2000), Le Cirque de l'amour (2002), Les Heures et les jours (2004), ou Histoires naturelles (2005).
L'amour et l'érotisme, les vanités humaines, et parfois la mort, nourissent une cosmographie débordante.
Le Butô, Danse des ténèbres, est une danse d'avant-garde inventée dans le Japon underground de 1959.
Petra Werlé dit qu'elle a eu une révélation lorsqu’elle a vu pour la première fois les danseurs aux corps blanchis et aux visages extasiés, impassibles : « Mon esprit s’est dressé dans ma tête, mon cœur s'est mit à battre, j’ai eu l’impression d’être des leurs. »
La sobriété des moyens mis en oeuvre et le fait de transformer la chair en sculptures mouvantes, le langage des signes où les corps expriment ce qui les habite dans une sorte de beauté sauvage et sensuelle, sans artifices, ont marqué Petra Werlé et noué un lien profond avec ses mies de pain.
En 1998 elle a participé à l'inauguration du Musée de l'érotisme à Paris aux côtés de Robert Combas, ce qui a fortement contribué à attirer l'attention de la critique sur son travail.
En 1997 elle s'est installée à Montreuil, et après plusieurs années de passion exclusive pour le pain, c'est désormais du côté des insectes qu'elle puise son inspiration et sa matière première.
Ailes de papillons, coquillages abandonnés, scarabées, phasmes et élytres, cocons de chrysalides, carapaces, antennes et appendices divers, mais aussi quelques herbiers dont elle extirpe limbes et péricarpes, constituent son champ d'approvisonnement.
Ses personnages gagnent en taille et en couleurs, l'ensemble prend une tournure plus pétillante et sa gamme colorée fait rêver d'un carnaval revisité par les fantasmagories d'un Jérôme Bosch liliputien.
Les personnages sont épinglés dans des boîtes noires, dûment étiquetées :
Les envoûteurs dépenaillés, La cohue des hérissés, Les cannibales romantiques, Les palabres palpitantes, Les facétieux vacillent, Les énergumènes voltigent, Effeuilleuses aguichantes...
© Photos Frantisek Zvardon - Editions Castor & Pollux
3 commentaires:
Démoniaque, c'était effectivement à Bosch que je pensais... ah! quelles délices (de mon temps ça ne pouvait être qu'au féminin pluriel...)!
Je crois que c'est toujours valable... amour, délice et orgue !?
C'est, en effet, fantasmagorique! Je suis sous le charme!!! Et quand on sait que ç'est fait en mie de pain, on se dit que, petit, contrairement aux autres enfants, Petra, elle, ne devait manger que ses croûtes;)
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