lundi 15 juin 2009

Segundo de Chomón

Cherchant des documents sur Ladislas Starewitch (un des maîtres russes de l'animation en trois dimensions, et modèle incontesté pour Tim Burton), je suis tombée par hasard et avec un total émerveillement sur un autre de ces grands novateurs de l'aventure des images animées que l'histoire a relégués dans l'ombre.

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Segundo de Chomón, né en 1871 à Teruel en Espagne, fait partie de ces pionniers particulièrement inventifs qui ont fait le bonheur du cinéma aux heures de ses balbutiements, et dont on ne parle plus beaucoup à moins d'être spécialiste, hormis en Espagne où il reste une figure mythique, au même titre que Méliès pour le cinéma français.

Après avoir commencé des études d'ingénieur à Saragosse, il s'installe successivement à Madrid où il réalise ses premiers films, puis à Barcelone où il collabore entre autres avec Pathé pour des travaux de colorisation. A la demande de son principal commanditaire, il s'installe à Paris dés 1905 où il découvre émerveillé le Cinématographe des Frères Lumières. Il y travaille -sous le nom de Chaumont- à la mise au point d’un système de coloration industrielle : le Pathécolor, et réalise pour Méliès des mises en couleurs, tout en continuant à enrichir sa propre filmographie.

Kiriki - Acrobates japonais, réalisé en 1907, à l'origine en noir et blanc, est colorisé après coup dans une gamme de nuances subtiles qui réhaussent la magie du trucage, soulignent les mouvements des personnages à les rendre plus lisibles, et apportent une grâce indéniable à ce petit film drôle et émouvant.



A visionner également ici pour une meilleure définition.

Virtuoses de la pyramide humaine, ces acrobates s'élancent avec adresse pour de savantes figures et d'extravagants sauts périlleux.
On découvre rapidement que toutes ces cabrioles ne sont que du bluff, elles sont en réalité filmées depuis le haut de la scène, tandis que les personnages évoluent à l'horizontale, couchés sur un grand tapis.
Mais quelle adresse et quelle inventivité, pour un résultat qui tient plus de l'effet optique que du trucage !
Un petit chef d'oeuvre d'animation, qui sous des apparences bouffonnes n'en est pas moins imprégné d'une extrême poésie.

Maîtrisant admirablement les effets et les cadrages, inventeur de merveilles, grand novateur, artiste-artisan et poète à la création débridée, pouvant s'adapter à toutes les situations, réalisant fictions, féeries, documentaires et actualités avec une habileté hors du commun mais n'abusant jamais de la technique, Chomón possédait également le sens de la lumière, talent qui se révéla d'avantage encore dés lors qu'il se mit à travailler sur la couleur, créant de nouveaux pigments et affinant sa palette, expérimentant de nouveaux procédés de colorisation des images en croisant différentes formules et méthodes (virage, teintage, pochoir, pinceau...), le tout avec une esthétique particulièrement subtile et une grande précision au niveau des détails, ce qui fit de lui un maître incontesté dés son arrivée à Paris.
Sorte d'homme-orchestre, génial touche-à-tout, doué d'une maîtrise peu commune en matière de production de film, passant du scénario au montage, et de la la mise en scène à la photographie et aux trucages -en partie grâce à d'ingénieuses surimpressions-, innovant, expérimentant sans cesse, ce bel aragonais aux doigts d'or, portant costume, cravate et chapeau, fumant le cigare avec distinction, apporta notamment sa collaboration technique aux trucages et effets spéciaux du Napoléon d'Abel Gance en 1927, peu de temps avant sa mort. On lui attribue le premier travelling du cinéma dans Cabiria de Giovanni Pastrone (Italie, 1914)

Cliquer pour agrandir dans une nouvelle fenêtreEn 1905 il réalise Electric Hôtel, d'esprit totalement surréaliste, qui fit rêver Breton, Buñuel et Desnos.
Dans ce petit film de 4 minutes et demi se manifestent des phénomènes surnaturels : les valises s'ouvrent d'elles-mêmes, les habits se suspendent seuls dans une armoire, la femme est coiffée par une main invisible et les chaussures du mari se cirent comme par enchantement... on est cependant encore bien loin de l'époque où Cocteau réalisera La belle et la bête.
Les rôles sont tenus par Chomón lui-même et son épouse Julienne Mathieu, une des premières actrices du cinéma muet.



(La mise en route a tendance à patiner,
dans ce cas pousser légèrement le curseur vers la droite pour y remédier.)

Comme un miroir magique, son univers enchanteur s'est dévoilé sur l'écran pour disparaître après la première guerre mondiale. Segundo de Chomón s'est éteint à Paris en 1929, âgé seulement de 58 ans.
Mais comme on le sait, les spectres reviennent toujours hanter les lieux qui leur étaient chers...

4 commentaires:

clothogancho a dit…

cet enchantement des premiers temps... on était loin de la télé réalité et même du docu-fiction !

Ciorane la pauvresse a dit…

Encore un joli moment de poésie hors du temps que tu nous offres là et qui rappelle que la créativité ne dépend pas des moyens techniques mais de l'inspiration.
Je t'ai décerné un prix sur mon blog, si tu en as envie bien sûr :
http://cuisinede4sous.canalblog.com/archives/2009/06/17/14110749.html

Anonyme a dit…

Très joli et enchanteur en effet, j'ai particulièrement apprécié les kaléidoscopes de bras et de jambes formées par les Kiriki acrobates japonais, je me suis même laissé bluffer ; je ne connaissais pas ce maître de l'animation... et bien plus encore. A-t-il des films entiers édités dans cette veine ?
MarcdeFabriek

Minie a dit…

Hello cher martien !
Autre chose dans cette veine, c'est possible mais je n'en sais rien, la filmographie donnée en lien ( http://www.aragonguide.com/648/aragon-guide-place-segundo-de-chomon-.html ) à l'air complète il faudrait l'éplucher, peut-être "Los Sitios de Chile "...
"Cuisine magnétique" et "Eclipse de sol" laissent aussi présager de joyeux trucages façon Méliès. Il faudrait voir du côté de Serge Bromberg (Lobster films), c'est un des meilleurs spécialistes et collectionneurs de films anciens.
Les acrobates japonais m'ont complètement bluffée moi aussi, kaléïdoscope c'est tout à fait le mot qui convient, mais j'ai craqué aussi pour l'état d'esprit qui s'en dégage, j'aime ce côté "amuseur public", on sent beaucoup de générosité et beaucoup de passion derrière tout ça. Et cette colorisation, quelle merveille !
C'est en fait essentiellement autour de ce savoureux petit film qu'il m'interressait de parler de ce cinéaste oublié.
Ravie de ta visite.

 
[]