samedi 2 mai 2009

Se perdre dans les nuages



DE LA NATURE
Lucrèce (-98, env.-55 av. J-C)

« Les nuages : leur origine.
Les nuages se forment lorsqu'un assez grand nombre de leurs éléments, en volant dans les hautes régions du ciel, se rencontrent soudain et grâce à leur légère aspérités s'enchevêtrent d'une manière assez lâche, mais suffisante pour maintenir leur cohésion. Ils commencent ainsi à consituer de petites nuées; puis celles-ci se réunissent et s'agrègent entre elles, et s'accroissent par leur réunion, et sont ensuite emportées par les vents, jusqu'au moment où s'élève la tempête furieuse. (1)

On observe en outre que plus les cimes des montagnes sont voisines du ciel, plus leurs hauteurs semblent constamment exhaler une fumée produite par l'épaisse obscurité d'une fauve nuée. La raison en est que, au moment où les nuages commencent à se former, quand ils sont encore trop ténus pour être perçus par notre oeil, les vents qui les emportent les rassemblent à la cime des montagnes.
C'est là seulement que, réunis en troupe plus nombreuse et plus dense, ils commencent d'être visibles; et ils semblent alors surgir du sommet de la montagne même et s'élancer dans les airs. Car les hauts lieux sont sans cesse battus des vents, comme l'expérience même nous le montre, et le témoignage de nos sens, lorsque nous gravissons de hautes montages.

En outre, un très grand nombre d'élèments s'élèvent, suivant une loi naturelle, de toute la surface de la mer : on le voit assez par les étoffes pendues sur le rivage, quand elles s'imprègnent d'humidité. Il apparaît donc que l'accroissement des nuages peut être dû, pour une large part, aux vapeurs qui s'élèvent de l'agitation des flots salés; car il y a parenté étroite entre ces deux sortes d'humidité.

En outre, de tous les cours d'eau comme de la terre elle-même, nous voyons monter des brouillards et des vapeurs qui, telle une haleine expirée du sol, sont emportés dans les airs, répandant par le ciel les flots de leurs ténèbres, et forment les hautes nuées en se rassemblant peu à peu : une pression en effet est aussi exercée d'en haut par la chaleur de l'éther étoilé, et c'est celle-ci en quelque sorte qui, en condensant leur matière, voile l'azur d'un tissu de nuages.

Il est possible aussi que notre ciel reçoive de l'extérieur ces éléments qui forment les nuées et les nuages aériens; car innombrable est leur nombre, infinie est l'étendue de l'espace, comme je l'ai enseigné; et j'ai montré également quelle vitesse prodigieuse animait le vol de ces éléments, quelles distances inexprimables ils pouvaient franchir en un instant. Il n'est donc pas étonnant que souvent, en un temps très court, de tels amas de nuages amenant avec eux la tempête et les ténèbres couvrent les mers et les terres sur lesquelles ils pèsent de toute leur hauteur : puisque de tous côtés par tous les pores de l'éther, et, pour ainsi dire, par tous les soupiraux qui s'ouvrent autour de ce vaste monde, la sortie et l'entrée sont librement assurés à tous les éléments.»

(1) « les nuages, dit Epicure (-341, - 270 av. J-C), peuvent se produire et se rassembler, soit par suite de condensations de l'air déterminées par les vents, soit par suite de l'enlacement de certains atomes aptes à s'accrocher les uns aux autres et à former ainsi les nuages, soit par suite de la réunion de certains courants émanés de la terre et des eaux... »
Lettre à Pythoclès § 99.

Comment alors ne pas penser à ce que disait Freud à propos du travail du rêve, qui selon lui procède par condensation, déplacement et figuration !?
(L'interprétation des rêves - 1900)
Et d'extravaguer sur les origines de l'expression "être dans les nuages" qui désigne le doux rêveur...
Dans Le Corps tragique Supervielle écrit : "Les souvenirs sont du vent, ils inventent les nuages."

4 commentaires:

marie a dit…

J'ai réussi à virer ton commentaire , voire même TES commentaires !!
Et aussi , ceux d'innocentes passantes ...
Et devine qui macère dans la navritude , la désolitude ...etc
Ben , c'est moi !!

Mais ne te mets pas pour autant la rate au court-bouillon ... Ce ne sont , j'en ai bien peur , que les premiers " couacs " d'une longue série ...

Je file voir tes nouvelles notes ... Zou !

Giscard le Survivant a dit…

Un roman récent existe sur les nuages qui se nomme La Théorie des nuages de Stéphane Audeguy. Par ailleurs, il en est question à plusieurs endroits de ces nuages intrigants dans l'excellente Théorie du chaos de James Gleick.
Amicalement,
Jackie Whithout Sound (de Voices ;-) )
PS : ce blog est d'une lecture très agréable ; continue !

Minie a dit…

Merci Jackie, pour ta visite et pour les références. J'avais entendu parler du livre de Stéphane Audeguy mais je ne l'ai pas consulté... Je vais réparer ça de toute urgence ! Idem pour James Gleick.

Minie a dit…

Voilà, lacune comblée, je suis repartie de ma librairie préférée ("Quai des brumes", c'est dire...) avec "La Théorie des nuages" sous le bras ! Je l'ai commencée, c'est curieusement prenant dés la prmière page...
Merci pour cette incitation/découverte.
Et comme un malheur n'arrive jamais seul, je me suis enfin décidée pour "Le guide du chasseur de nuages" de Gavin Pretor-Pinney que je croyais très scientifique et bien non, pas vraiment, disons un bel ouvrage de vulgarisation, assez documenté et pour cause, mais avec beaucoup d'anecdotes et de proverbes, et à vue de nez écrit avec un sens de l'humour dont seul les anglais ont le secret...
Je sens que je vais bientôt pouvoir entrer dans la bienheureuse Cloud Appreciation Society...

 
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